Antognow
Où bien elle rencontrerait un homme, dans le wagon ou au Café de la gare, un homme qui lui dirait madame vous ne pouvez plus continuer comme ça, donnez-moi la main, prenez mon bras, rebroussez chemin, posez votre sac, ne restez pas debout, installez-vous à cette table, c’est fini, vous n’irez plus, ce n’est plus possible, vous allez vous battre, nous allons nous battre, je serais à vos cotés. Un homme ou une femme, après tout peu importe. Quelqu’un qui comprendrait qu’elle ne peut plus y aller, que chaque jour qui passe elle entame sa substance, elle entame l’essentiel. Quelqu’un qui caresserait sa joue, ou ses cheveux, qui murmurerait comme pour soi-même comment avez-vous fait pour tenir si longtemps, avec quel courage, quelles ressources. Quelqu’un qui s’opposerait. Qui dirait stop. Qui la prendrait en charge. Quelqu’un qui l’obligerait à descendre à la station précédente ou s’installerait en face d’elle au fond d’un bar. Qui regarderait tourner les heures sur l’horloge murale. A midi, il ou elle lui sourirait et lui dirait : voilà c’est fini.
Les heures souterraines - Delphine de Vigan